Petite cousine du bien plus connu grand tétras, la gélinotte des bois arbore un plumage très peu spectaculaire de loin, mais tout en belles nuances et fins contrastes de plus près. Au contraire de son grand cousin et de ses parades spectaculaires, le mode de vie de la gélinotte est à l’image de son plumage : d’une discrétion absolue. Le plaisir de l’observer vaquer à ses activités est réservé aux plus chanceux ou aux plus patients, mais même ces derniers se contentent le plus souvent de décrypter les indices que le petit fantôme des bois sème sur son territoire.
Pas frileuse….
La gélinotte des bois apprécie les climats froids. Son aire de répartition est largement superposée à celle de la taïga, la forêt boréale eurasiatique. Tout au sud-ouest de son aire de répartition, c’est principalement en altitude qu’elle trouve des conditions d’habitat qui lui conviennent, notamment dans les forêts de montagne du Jura et des Alpes.
Comme pour de nombreuses autres espèces boréales, son adaptation au froid est remarquable. Par exemple, chacune des plumes de son corps est doublée d’un deuxième rachis, duveteux et isolant. Autre exemple, la gélinotte passe parfois la nuit en igloos. Lorsque la couche de neige poudreuse est suffisante, elle s’y laisse tomber et avance de quelques dizaines de centimètres, totalement sous la neige. Elle reste là pour la nuit, profitant de l’isolation offerte par la poudreuse. Elle en ressort le matin en cassant le toit de son igloo, à usage unique.
… Mais pas très aventureuse non plus !
Sédentaires et généralement monogames, les partenaires du couple connaissent chaque buisson, voire chaque brindille de leur territoire. Certains couples restent dans le même coin de forêt de quelques dizaines d’hectares durant toute leur vie adulte, qui dure 6 ou 7 ans en moyenne. En revanche, ces secteurs doivent leur fournir tout au long de l’année tout ce dont ces gallinacés ont besoin. Les forêts de montagne présentent tout ce dont les gélinottes ont besoin : une riche mosaïque de petites clairières herbacées et de groupes d’arbres denses avec des buissons de diverses essences et une bonne proportion de résineux. Elle réussit alors à trouver toute l’année le couvert et la nourriture.
Un abri et une table bien garnie
C’est entre le sol, où elle passe beaucoup de temps, et jusqu’à environ 7 ou 8 mètres de hauteur, que se déroule la vie de la gélinotte. Elle s’y déplace principalement à pied, le vol étant réservé à la fuite ou à de toutes petites distances. Pour cette végétarienne, la belle saison est prolifique : fruits, jeunes pousses, graines et autres rameaux tendres, tout ce qu’il lui faut dans le sous-bois des forêts de montagne. Le feuillage estival lui permet de trouver de nombreux abris pour se protéger des renards, martres et autres prédateurs.
En hiver, une fois les dernières baies disparues, la situation se complique. Sous la neige, la nourriture au sol n’est plus accessible. La petite poule se nourrit alors exclusivement de bourgeons et de rameaux de certaines essences de bois tendres : sorbier, alisier et noisetier constituent ici la quasi-totalité de son alimentation. Les feuilles tombées, les abris se réduisent drastiquement pour la gallinacée. Les sapins et épicéas sont alors son seul abri contre son principal prédateur à cette saison, le redoutable autour des palombes. Pour être à l’abri durant ses longs repas hivernaux, un mélange très fin entre les alisiers, sorbiers ou noisetiers et les branches de résineux entre le sol et 7 ou 8 mètres de hauteur est alors indispensable.
La saison des amours
Au retour des premiers crocus, des chatons de saules et des premières feuilles tendres, les couples se mettent à l’ouvrage : le chant, très aigu, est rarement émis en dehors des conflits de voisinage et de la formation des couples – ce qui ne facilite pas la détection de l’espèce. Comme le grand tétras, l’accouplement est précédé d’une parade nuptiale, queue en éventail et ailes au ras du sol, avec de petits sauts et vols battus. Contrairement au grand coq et à ses arènes de parade regroupant plusieurs coqs et femelles, la parade se passe dans la stricte intimité du couple.
Après une couvaison au sol, dans un nid qui est une simple cuvette bien à l’abri des regards, et à condition que les sangliers ou les renards ne les aient pas croqués, les poussins éclosent. Ils quittent rapidement et définitivement leur nid et la poule les mène dans le sous-bois à la recherche de nourriture. Pour assurer leur croissance, très rapide, ils ont besoin de protéines. Les insectes constituent le gros des repas des poussins pendant deux à trois semaines.
S’ils réussissent à échapper aux prédateurs et à survivre aux épisodes de mauvais temps, la famille va se disperser petit à petit. C’est la phase périlleuse de la recherche d’un territoire qui commence, les jeunes pouvant se déplacer sur d’assez grandes distances, alors que le couple parental retrouve sa solitude, profitant des baies et des graines offertes par l’automne. Les oreilles attentives entendent parfois aussi quelques chants à cette saison, probablement destinés à renforcer la cohésion du couple et à éloigner d’éventuelles jeunes gélinottes à la recherche d’un territoire.
Des actions pour son habitat et des tentatives de suivi
C’est la partie hivernale de l’habitat, dominée par les résineux et les bois tendres, qui fait le plus souvent défaut dans les forêts de montagne du Parc. Avec les forestiers et les propriétaires, le Parc s’engage depuis 20 ans pour améliorer l’habitat de la petite poule fantôme menacée par des forêts trop régulières, en essayant de favoriser en particulier cet habitat hivernal et de petites clairières bien abritées des regards.
Ne serait-ce que pour évaluer la pertinence des actions engagées, savoir comment se portent les gélinottes dans le Parc est important. Des recherches d’indices en hiver (tels que des traces de pattes ou des crottes) menées entre 2013 et 2019 par le Parc et la Station ornithologique suisse de Sempach ont permis d’y voir nettement plus clair sur sa répartition. Le manque de neige de ces derniers hivers rend cependant cette méthode difficile à répéter. De nouvelles techniques, comme le suivi acoustique automatisé, sont envisagées en collaboration avec la Station ornithologique et les cantons pour préciser l’évolution des populations de la petite poule fantôme.
